Fiscalité, management et éthique !
Auteur : M. Mourad Harici
La fiscalité est un important outil de management qui fait intervenir de nombreuses parties prenantes, principalement l’État et l’Entreprise. Dans un système équilibré, les deux doivent atteindre les objectifs visés dans des conditions optimales, tout en observant les règles élémentaires d’éthique. L’administration fiscale considère que ses objectifs sont atteints lorsque les recettes nécessaires au bon fonctionnement de l’État sont collectées auprès des contribuables.
Si l’on se réfère à la définition la plus basique du management, « mise en œuvre des moyens humains et matériels d’une entreprise pour atteindre ses objectifs », et si l’on donne au mot « entreprise » son sens le plus large, il ne fait aucun doute que cette administration exécute une mission de service public dont les différentes tâches s’apparentent à celles de toute entreprise. Sa mission, sans équivoque non plus, devrait être menée avec professionnalisme et éthique car il s’agit de collecter l’impôt de manière équitable
Lorsque ses actions s’éloignent de ces valeurs fondamentales les contribuables réagissent immédiatement et lorsque leurs revendications demeurent insatisfaites, ils décident de se servir directement en évitant l’impôt. Ils adoptent alors un comportement qui n’observe pas les normes d’éthique, ni les règles essentielles de management de l’entreprise !
Cela crée un climat délétère et malsain qui nuit à la bonne gouvernance aussi bien des entreprises que de l’État. Tenter d’identifier le coupable de cette situation nocive reviendrait à résoudre l’énigme populaire de « la poule et l’œuf » !
Ce serait peine perdue car en réalité les torts sont largement partagés. Chaque partie prenante à sa part de responsabilité car aucune n’a totalement et parfaitement su doser les règles de management et d’éthique lorsqu’il s’agit de fiscalité.
Nous avons déjà eu l’occasion, dans d’autres écrits, d’adresser des critiques constructives à l’administration fiscale qui doit mener à bien, reconnaissons-le, une mission complexe dans un environnement national et international peu favorable. De ce fait, cette contribution ne lui est pas directement destinée. Nous allons la consacrer à l’autre partie prenante, le contribuable !
Le fil directeur de cet écrit pourrait-être décliné en une seule question essentielle :
Le fait que le contribuable ait décidé de réagir à la problématique de l’iniquité fiscale en se soustrayant totalement ou partiellement à l’impôt de manière artificielle est-il légitime ?
Certains n’hésiteront pas à affirmer qu’il s’agit d’une réaction normale en rappelant des adages qui confortent leur position, comme le fameux « trop d’impôt tue l’impôt »
En réalité, agissant de la sorte, ils consolident le « cercle vicieux » dans lequel les parties prenantes, administration et contribuables, se sont enfermés depuis longtemps.
Nous n’innoverions pas en la matière si nous proposons un effort collectif indispensable à une meilleure distribution de fruits de la fiscalité dans l’intérêt de tous, notamment les plus fragiles, celles et ceux qui attendent de l’aide de l’État sous toutes les formes que pourrait prendre ce soutien.
Malheureusement, à l’heure où nous proposons cette réflexion, le jeu est tellement déloyal que lorsqu’une partie prenante propose une mesure fiscale dont la portée est purement sociale, l’autre partie décide d’en extraire le « jus » sans tenir compte des incidences sociales et leur bienfait. Beaucoup vont jusqu’à confondre ce comportement incivique avec une règles de management, l’optimisation fiscale ! Nous savons tous qu’il n’en est rien !
Nous n’allons pas demeurer abstraits car fort heureusement, nous avons deux exemples à notre disposition qui illustrent parfaitement ce qui précède, dont l’un a fait l’objet de vives critiques dans la presse, de la part de l’administration fiscale.
1. Les stages de formation-insertion
Ce régime a été institué par les dispositions du Code du travail et a fait l’objet de mesures fiscales incitatives. La portée de ces mesures est louable car elles visent à faciliter l’insertion professionnelle de nos jeunes diplômé(e)s. L’État a consenti de se retirer du champ de l’impôt en accordant une exonération au titre de l’impôt sur le revenu dû par ces contribuables, ainsi qu’une exemption en matière de charges sociales, sous certaines conditions. Les employeurs qui procéderaient au recrutement de jeunes diplômé(e)s, par l’intermédiaire de l’Agence Nationale de Promotion de l’Emploi et des Compétences (ANAPEC) en allégeraient le coût fiscal et social. Bien entendu, ces contrats sont régis par le droit du travail et ne doivent pas être confondus avec des stages académiques, ni ne permettre aucune forme de précarité.
Pourtant, selon notre expérience et les informations que nous avons pu recueillir, sans toutefois généraliser, plusieurs employeurs profitent de ce régime pour combler un poste vacant mais ne comportant aucune perspective ni carrière En d’autres termes, ils font appel à un(e) diplômé(e) uniquement pour, passez-moi cette expression peu élégante, « boucher un trou ». Il n’y a dans ce comportement, ni management, ni respect de l’éthique, il y a seulement un stratagème pour atteindre un objectif immédiat tout en bénéficiant d’avantages fiscaux et sociaux offerts par l’État, dont l’objectif est de permettre à des jeunes qui ont consacré plusieurs années de leur vie à l’éducation et la formation de mieux affronter le marché de l’emploi.
2. Le régime de l’auto-entrepreneur
Ici, l’État vient de nouveau au secours de citoyen(ne)s, diplômé(e)s ou pas, afin de leur permettre de mieux négocier avec un marché de l’emploi difficile d’accès.
Ce statut juridique permet de créer une entreprise selon des procédures simplifiées. Il s’adresse à des profils qui pourraient rencontrer des difficultés pour trouver un emploi, comme les étudiants, à des salariés ayant perdu leur emploi ou à des personnes salariées qui souhaitent se reconvertir en tentant l’entreprenariat.
Il est doté d’un régime fiscal très favorable en matière d’impôts sur les sociétés, impôt sur le revenu et taxe sur la valeur ajoutée, à condition de ne pas dépasser les montants de chiffre d’affaires fixés par le Code Général des Impôts.
Comme l’a dénoncé récemment l’administration fiscale dans la presse, il semble qu’il ait été détourné de ses objectifs.
Voici des extraits de ces déclarations faites à l’occasion de la présentation du projet de loi de finances pour l’année 2023 :
« Détourné, le statut d’auto-entrepreneur peut servir d’évasion fiscale »
Encore plus explicite :
« Le statut de l’auto-entrepreneur est utilisé pour contourner le salariat et ses charges. Un effet d’éviction a été constaté par l’administration puisque des dizaines de milliers de travailleurs autrefois déclarés comme salariés apparaissent désormais en tant qu’auto-entrepreneurs. Une mesure inscrite dans le projet de loi de finances 2023 vise à contrecarrer ce phénomène ».
Ces deux exemples montrent que les échanges entre administration fiscale et entreprises contribuables ressemblent souvent au jeu dit « du chat et de la souris », loin des règles saines du management et de celles de l’éthique !