<img height="1" width="1" style="display:none" src="https://www.facebook.com/tr?id=617884793552567&amp;ev=PageView&amp;noscript=1">
L’évaluation des entreprises : de l’impact de la crise de la COVID à la crise du concept de la valeur

L’évaluation des entreprises : de l’impact de la crise de la COVID à la crise du concept de la valeur

« Le fait marquant en la matière est l’extrême précarité des bases sur lesquelles nous sommes obligés de former nos évaluations des rendements escomptés. […] Les données dont on dispose se réduisent à peu de choses, parfois à rien » (J.M. Keynes, 1936).

Valoriser une entreprise, c’est calculer sa valeur financière en tenant compte des données comptables passées et du potentiel de son développement futur sur un horizon déterminé. L’évaluation est un exercice complexe dans la mesure où il s’agit pour l’évaluateur d’intégrer et d’analyser une pluralité d’enjeux, de paramètres et de variables entourées parfois d’une relative imprécision. L’avènement de la crise de la Covid a rendu une telle gymnastique encore plus complexe d’abord, du fait que les acteurs doivent intégrer dans leur démarche et leurs hypothèses les contours de l’impact de cette crise sur la valeur, ensuite, et surtout du fait que le contexte actuel a lourdement altéré les approches et les conditions au sein desquelles opérait jadis l’évaluateur ; il a aussi envoyé des signaux négatifs sur la valeur des entreprises (pour leur majorité) déstabilisant l’image même de celle-ci aux yeux des parties prenantes.  

Aujourd’hui plus que jamais cette thématique de l’évaluation des entreprises devient fondamentale de notre point de vue. Cet intérêt indéniable se justifie par le fait que l’évaluation des entreprises est une démarche qui va au-delà de l’aspect technique. Il s’agit, en temps normal, d’une composante fondamentale du processus de régénérescence du tissu des entreprises dans une économie. Ce poids se doit d’être encore plus important dans une période de sortie de crise. Pourrait-on imaginer une redynamisation des opérations de croissance, de fusions-acquisitions, des rachats d’entreprises et de la transmission sans la possibilité de disposer d’une fourchette de valeur raisonnable et crédible pour l’ensemble des parties concernées. Si l’on rajoute à cela le fait que la majorité des entreprises concernées par ce type d’opérations ne sont pas cotées, l’intérêt évoqué devient encore plus décisif.

Si l’enjeu de la question et son intérêt en cette période précisément sont indiscutables, la démarche elle est périlleuse dans la mesure où un évaluateur est amené à produire une valeur censée jouer un rôle de vecteur de confiance pour les parties prenantes. Cette mission lourde l’amène à l’obligation de produire une valeur, de la légitimer par l’approche sachant que son intervention se fait dans un environnement très complexe et multidimensionnel couvrant des variables issues de dimensions à la fois stratégique, juridique, financière, comptable et fiscale pour n’en évoquer que celles-là.  La donne devient encore plus incertaine quand on sait que la crise a fait que le raisonnement de l’évaluateur doit se construire de manière spécifique à l’entité concernée et peut moins faire appel au concept de cluster qui fonde les démarches telle que celle des comparables. En effet, plus rien ne prédispose les entreprises d’un même secteur à avoir les mêmes réactions face à la crise et des stratégies de sortie semblables ; le niveau de résilience étant lui-même idiosyncratique.       

Techniquement, l’idée qui a prévalu est de pouvoir, et ce quelque soit la méthode adoptée, d’intégrer l’ensemble des risques qui pèsent sur la fiabilité et l’objectivité des chiffres pris en compte. Or, et c’est là que le bas blesse, même avant la crise de la Covid 19, on était conscients que l’on ne pouvait pas faire aveuglément confiance aux estimations et hypothèses prises en compte. Chaque variable est entourée d’un risque relatif d’incertitude et/ou implique une certaine subjectivité. C’est le cas par exemple de la valeur nette des actifs considérée dans le cadre d’une évaluation par l’approche de l’actif net comptable. Un niveau de doute donné entourera toujours une telle composante eu égard au risque de surestimation des valeurs ou leur dépréciation sous-estimée dans les états financiers ayant été utilisés à cette fin. Quel que soit l’approche adoptée, une multitude de risques surgit et finit par peser sur la valeur produite, sa sincérité, son objectivité et sa pertinence.

La crise de la COVID a joué un rôle d’aggravation. Le manque de visibilité, le renforcement de l’incertitude sur les perspectives économiques, l’impact très douloureux sur certains secteurs et la valeur des actifs des entreprises, principales conséquences de cette crise ont fini par lancer plein de signaux défavorables qui ont fragilisé les approches de la valeur et ont presque fini par décrédibiliser ce concept. Dans ces circonstances, un questionnement émerge presque naturellement : Comment éviter que la crise de la COVID ne finisse par provoquer une crise du concept de la valeur ?

Notre article a pour objet d’initier une réflexion, plus que jamais essentielle, sur les risques que génère cette période de crise dans le contexte des missions d’évaluation des entreprises et de tenter, ne serait que partiellement, d’apporter quelques propositions pour les prendre en compte, atténuer leur impact et contribuer à la crédibilisation du concept de la valeur auprès des acteurs concernés.                                  

  1 – Les risques et l’incertitude ont toujours été au cœur de la problématique de l’évaluation des entreprises :

En finance et en droit comptable, la notion de risque a fait l’objet de lectures protéiformes et multidimensionnelles qui ont fondé la notion de la valeur. Le risque a été conçu de manière très proche du concept de l’incertitude. Ainsi, il a été considéré que le risque d’un titre financier se mesure à la volatilité de sa valeur ou de sa rentabilité. Plus cette volatilité est élevée, plus le risque est fort, et inversement. Le risque afférent à un titre financier ou tout actif objet d’évaluation trouve son origine dans diverses sources. Il peut être inhérent à la sphère politique et économique (inflation, baisse de la conjoncture,…) et menacer directement les flux économiques liés à l’actif ; il peut aussi s’enraciner dans des sources de nature purement financière (risque de liquidité, change, risque de taux…) qui n’affectent pas de manière significative directement les flux mais finissent par affecter la valeur elle-même.

Le droit comptable a, lui aussi, intégré une relation subtile entre la valeur comptable des capitaux propres et le risque et ce par le biais du principe fondamental de la prudence. Dans cet état d’esprit, les comptes doivent refléter de manière sincère : d’une part, le risque de la dépréciation non irréversible de la valeur des actifs ; d’autre part, les risques liés aux engagements ou contentieux en cours à la date de leur arrêté.   Ce deuxième élément est issu de la possibilité, à la date d’arrêté des comptes, d’existence de passifs probables liés à une obligation de l’entité à l’égard de tiers dont il est probable qu’elle provoquera une sortie de ressources au bénéfice de ces tiers, sans contrepartie au moins équivalente attendue de ceux-ci.  

Encadré – Bref rappel sur les principales méthodes d’évaluation

La méthode patrimoniale : actif net corrigé comptable

Cette méthode se fonde sur l’évaluation de l’actif net réévalué : Elle est statique puisqu’elle retient la valeur des actifs nets diminués des passifs et ne prend pas en compte les perspectives futures de la valeur.
La valeur de l’actif net réévalué constitue donc une valeur repère indicative uniquement.
Cette approche plus adaptée à des situations stables telles que celles de la valorisation de sociétés holding ou de sociétés immobilières, mais semble peu appropriée en période de crise pour d’autres types d’activités.

Les méthodes analogiques :

Elles consistent à évaluer une entreprise/ cible en estimant une valeur de marché par comparaison avec des sociétés de même nature, soit cotées, soit ayant fait l’objet d’une transaction récente. En adoptant cette approche, l’évaluateur devra rester prudent en cas de forte volatilité des cours, qui aurait pour conséquence de fausser la valorisation ; pour en atténuer l’impact, il sera pertinent de retenir un cours moyen sur une période donnée, en général plusieurs semaines. La difficulté inhérente à cette démarche tient à la pertinence du choix de l’échantillon, de l’information et de l’applicabilité à la cible

L’approche DCF (discounted cash flow)

La méthode des flux futurs de trésorerie, désignée sous le vocable de « discounted cash flow » (DCF), est très largement diffusée en matière d’évaluation et traduit une logique purement financière de la valeur (un actif ne vaut que ce qu’il rapporte). Cette approche consiste globalement à estimer, par actualisation, la valeur actuelle nette des flux de trésorerie projetés d’une activité. Dans le cadre d’une transaction, le montant ainsi déterminé correspond au prix qu’un acquéreur devrait accepter de payer pour un investissement donné, puisque l’actualisation à un taux raisonnable lui garantit que l’investissement lui permettra de couvrir le coût des capitaux qu’il engage.
Un des principaux attraits de cette méthode est de mettre en lumière l’ensemble des hypothèses sous-jacentes à une valorisation (croissance, rentabilité, investissements), et ce sur un horizon temporel de plusieurs années.

Cette méthode est très utilisée actuellement car elle repose sur une idée simple : une entreprise n’a de valeur que si, un jour, elle rapporte de l’argent. Toutefois, elle a ses limites puisqu’elle repose sur la capacité de l’entreprise à réaliser réellement ses prévisions ; capacité difficile à apprécier, surtout en contexte de crise.

Cette méthode présente des difficultés relatives essentiellement aux projections des flux de trésorerie.  Les éléments réunis lors du diagnostic stratégique et financier constituent, avec le business plan (prévisions d’activité) établi par la société, le point de départ d’une évaluation selon la méthode du DCF. Lorsqu’elles sont disponibles, ces prévisions sont souvent établies sur une période de 3 à 5 ans.
Le rôle de l’évaluateur est d’examiner ces prévisions, afin de les critiquer ou de les prolonger si nécessaire. Il devra disposer, dans cette première étape, d’un modèle reflétant des hypothèses d’activité réalistes, cohérentes et pertinentes.

Les risques en matière d’évaluation des entreprises sont ceux qui pèsent sur la sincérité des valeurs produites. Ceux-ci dépendent de l’approche d’évaluation adoptée.   

  • Concernant la méthode axée sur l’actif net comptable corrigé :
Risques identifiés Nature du risque Précautions de l’évaluateur
Surestimation de la valeur des actifs • Existence d’actifs fictifs • Evaluation non fiable des actifs •Non prise en compte de manière complète des risques de dépréciation des actifs   Revue comptable pour s’assurer de l’absence d’actif fictif, de la sincérité des dépréciations des actifs    Valorisation des immobilisations corporelles à dire d’expertise pour estimation des plus-values latentes
Sous-estimation des dettes   • Non prise en compte de l’ensemble des engagements certains et passifs latents dans les comptes  Revue juridique pour s’assurer de l’exhaustivité des engagements constatés  
Risque fiscal et social • Sous-estimation ou omission des provisions pour risque lié à un manque de conformité au niveau fiscal et social Revue fiscale et sociale pour s’assurer que le risque fiscal et social a été suffisamment provisionné  
  • Concernant la méthode des flux actualisés (discounted cash-flows) :
Risques identifiés Nature du risque Précautions de l’évaluateur
Risque lié aux projections Risque lié aux projections Démarche de prévision à partir de l’historique ignorant par construction les événements de faible probabilité et à fort impact Réalisme des hypothèses méthodologiques adoptées dans le cadre des projections financièresProduction de scenarii divers
Estimation du taux d’actualisation Prime de risque : difficulté d’estimer la prime de risque de marché, de non-liquidité, sectorielle, ou de risque plus spécifique de l’entreprise En l’absence de cotation ou d’un équivalent fiable, choix d’un taux validé avec les associés en s’approchant le plus possible du taux de rentabilité moyen sur la place financière ou d’autres taux appropriés (le taux d’intérêt des bons du trésor ajusté en fonction des facteurs de risques identifiés)

  2 – La crise de la COVID et les risques : un changement de degré plus que de nature ?

La question fondamentale que nous devons nous poser naturellement s’exprime comme suit : La crise COVID a-t-elle produit un changement de nature du point de vue des risques qui pèsent sur l’évaluation ou a-t-elle plutôt aggravé leur intensité ? De notre point de vue, la réponse à cette interrogation est équivoque. En effet, la réaction des entreprises face à la crise n’est pas univoque. Chaque entreprise réagit différemment en fonction des spécificités qui sont inhérentes à son modèle économique et sa capacité à se mettre dans une posture pro-active. Malgré cela, il est cependant presque indéniable que la crise a introduit une réelle rupture dans l’approche de la valeur. Presque toutes les démarches d’évaluation sont aujourd’hui lourdement mises en difficulté.

Les professionnels invoquent, quand il s’agit des méthodes financières, principalement la difficulté de se prononcer désormais sur la visibilité des performances de l’entreprise à moyen et long termes. Il s’agit là d’une rupture, puisque cette capacité de produire des prévisions de cashflow sur des horizons allant de 3 ans à 5 ans était auparavant maitrisée et acceptable. Il faut dire que les crises économiques et financières qui sont et seront de plus en plus occurrentes sont un signe d’un environnement qui deviendra intrinsèquement impossible à prédire. La crise de la COVID a accentué le niveau d’incertitude en raison, de la volatilité accrue sur les marchés des capitaux, de l’imprécision sur la durée de la crise ; l’horizon de reprise qui devrait s’en suivre ainsi que du doute qui entoure la pertinence des données financières alimentant les modèles d’évaluation. La méthode des multiples a elle aussi été impactée par la spécificité plus prononcée de la situation propre à chaque entreprise et de la remise en cause des prévisions; alors qu’avant en temps normal, beaucoup d’investisseurs et d’évaluateurs fondaient leur approche de la valeur en appliquant un multiple d’évaluation à un agrégat du budget (chiffre d’affaires, EBITDA, EBIT, etc.).   

Les méthodes analogiques dite des comparables, elles sont confrontées, au-delà des difficultés techniques déjà évoqués, à une quasi-absence de transactions comparables.       

L’autre approche d’évaluation patrimoniale n’a pas non plus été épargnée par cette évolution. Cette méthode en tant qu’approche historique fondée sur l’actif net voit l’hypothèse implicite de reproduction du passé qui la fonde fortement mise en brèche. De plus, s’ajoute l’impact de la crise non forcément mesurable sur la valeur actuelle des actifs détenus et l’aggravation des engagements supportés par les entreprises sans que l’évaluateur ne soit assuré de leur traduction dans les comptes ayant servi de base à l’évaluation.

  3 – Quelles implications sur la démarche d’évaluation : dépassement ou plus de vigilance ? 

A l’extrême, il est acceptable de croire que la crise de la COVID a prédessiné un environnement qui remettra en cause les modèles et les méthodes d’évaluation actuels. Derrière cette idée, se profile leur incapacité de répondre à nos besoins en termes de prise en compte de l’incertitude.  Certains praticiens semblent plus rassurants en insistant que la méthode de l’actualisation des flux monétaires (DCF) devrait être pertinente et privilégiée afin de tenir compte de la récession et de la reprise. Les entreprises devraient même avoir plusieurs scénarios de prévisions financières. Il est fort probable également qu’un plus grand nombre d’entreprises devront être évaluées à l’aide d’une approche en liquidation plutôt qu’en continuité d’exploitation.

La CNCC[1] recommande fondamentalement :

  • D’accepter les limites inhérentes à la mission d’évaluation et à son exercice ;
  • De manipuler les modèles existants avec plus de vigilance ;
  • De communiquer autour du caractère relatif de la valeur produite.

Les premières réponses à la crise du concept de valeur et le risque d’obsolescence des outils d’évaluation devraient être confrontées par un retour fort vers la compréhension des fondamentaux de la valeur de la cible. Ce renouveau nécessite d’approfondir la phase de prise de connaissance générale de l’entreprise, la compréhension de son environnement, de son potentiel en termes de création de valeur dans l’avenir et les vecteurs qui le portent. 

Cette volonté de redonner à l’évaluation sa vision stratégique devrait s’articuler autour des axes suivants :

  • Admettre la subjectivité des méthodes utilisées et la non-efficience des marchés
  • Expliciter et communiquer l’idée que l’évaluation n’est qu’une « convention financière »
  • Approfondir la phase de diagnostic stratégique par le bais des outils stratégiques pour affiner la compréhension des fondamentaux de la cible (marché, secteur, technologie, management, culture d’entreprise, SWOT …)
  • Affiner l’analyse des risques et simuler des scénarios y compris la situation « catastrophe »
  • Nécessité de redéfinir la fonction de l’évaluation et d’utiliser des outils adaptés
  • Utiliser la démarche profondément et fiabiliser son déroulement pour se forger une conviction sur la valeur
  • Adopter une analyse réaliste, approfondie de l’impact des différents scénarios financiers et stratégiques sur la valeur fondamentale
  • Garder une position objective
  • Mener des analyses de sensibilité aux hypothèses clés d’exploitation vs sensibilité taux actualisation et taux croissance long terme
  • Estimer les risques pesant sur l’activité, le potentiel de croissance et leurs conséquences sur la valeur

La crise semble avoir ébranler en son fondement l’édifice de l’évaluation financière, qui elle-même participe de la théorie financière, pour qu’on puisse croire qu’ait pu être soutenue aussi affirmativement l’idée que l’objectivité de la valeur ne signifie pas qu’elle soit absolue. Dans le contexte actuel de la crise, il est de plus en plus fondamental de revenir à l’idée que l’évaluation financière est et reste par essence avant tout une convention crédible et utilisée en vue de mesurer une valeur de la cible mais pas la valeur.

Il convient alors d’éviter l’enfermement méthodologique en admettant l’idée noble que la crédibilité de l’évaluation est tributaire de la légitimité de la démarche elle-même, de la capacité de l’évaluateur à analyser effectivement et de manière approfondie les fondamentaux de la valeur d’une entreprise. Ce retour à la source, au-delà des dogmes des hypothèses simplificatrices mais irréalistes, implique une compétence multidimensionnelle fortement enrichie dans un champ d’intervention où plus que jamais la crédibilité du résultat est viscéralement liée à celle de l’approche. A cette condition près, nous pourrons éviter que la crise de la Covid ne devienne une crise de la valeur.   


[1] Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes en France. 

Articles récents

Le Pouvoir du Marketing Viral : Comment Faire Passer Votre Message à Grande Échelle

Dans le monde numérique d'aujourd'hui, le marketing viral est devenu l'une des...

Comprendre le Neuromarketing : La Science derrière les Décisions d'Achat

Dans le monde du marketing, comprendre les motivations et les comportements des...

Paresse, Précipitation et Uniformité : Les Red Flags d'un Business Plan défaillant

Dans l'élaboration d'un business plan, certains écueils peuvent compromettre sa...