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La mutualisation logistique au Maroc

La mutualisation logistique au Maroc

Le déploiement des solutions de mutualisation logistique par les acteurs de la chaîne logistique n’est que le résultat d’un long processus de maturation des chaînes logistiques qui s’est étalé sur plusieurs années. En effet, la littérature montre que les entreprises ont ressenti l’importance de la logistique en tant que fonction stratégique à part entière depuis les années 1980. Eu égard à ce constat, une littérature spécifique en management logistique s’est rapidement foisonnée. C’est ainsi que la logistique a évolué d’une approche centrée sur les interfaces intra-organisationnelles à une approche multi-acteurs centrée sur les interfaces inter-organisationnelles.

Cette évolution a stimulé l’émergence d’un acteur clé qui intervient dans la chaîne logistique pour faciliter l’intégration entre ses membres. Il s’agit du prestataire de services logistiques (noté PSL) qui, récemment, de par son rôle vital dans le pilotage des interfaces inter-organisationnelles, s’est vu attribué la mission de l’optimisation des flux. Aujourd’hui, le développement spectaculaire de la prestation logistique donne naissance à des pratiques de mutualisation logistique, octroyant au PSL une position privilégiée pour se placer désormais à l’interconnexion des réseaux logistiques.

Dans le contexte marocain, il convient de souligner que le secteur logistique connaît un saut qualitatif remarquable ces dernières années. Mais, nous notons un gap entre le niveau de maturité des chaînes logistiques dans les pays fortement industrialisés et le niveau de maturité des chaînes logistiques au Maroc, et ce malgré les avancées réalisées réciproquement par les instances publique et privé qui visent la promotion des pratiques de mutualisation logistique.

La mutualisation logistique : une conséquence d’un long processus de maturation logistique

Le mouvement de l’externalisation des activités logistiques enclenché dans les pays occidentaux depuis déjà plusieurs années a profondément contribué à l’atteinte des objectifs de compétitivité, de qualité et de délai. Cependant, le déploiement des cas réels de mutualisation des activités logistiques n’augurent que les prémices d’un nouveau mouvement des démarches collaboratives.

Ces nouvelles démarches collaboratives, mises en place essentiellement par quelques entreprises industrielles et de distribution implantées particulièrement dans des pays fortement industrialisés, ne sont que le fruit d’un long process de maturation logistique (Tableau 1) qui a transformé les organisations et schémas logistiques depuis plusieurs décennies à travers des innovations incrémentales.

Tableau 01 : Niveau de maturité des chaînes logistiques

  Logistique traditionnelle Chaîne logistique interne Chaîne logistique externe
Flux Gestion fragmentée des flux Gestion intégrée des flux au niveau interne Gestion intégrée des flux au niveau interne et externe
Processus et technologies d’information Applications spécifiques pour une optimisation disjointe Mise en place des processus logistiques coiffés par des systèmes d’information Synchronisation des processus et intégration des systèmes d’information inter-organisationnels
  Coordination Absence d’une approche globale de gestion des flux dans l’entreprise Instauration d’un dialogue entre les fonctions de l’entreprise Externalisation et émergence du prestataire de services logistiques entant qu’intégrateur de la chaîne logistique

Dès lors, la recherche en logistique a libéré d’autres travaux sur les pratiques collaboratives. Ainsi, les bonnes pratiques logistiques comme la gestion partagée des approvisionnements « GPA »[1],  la gestion mutualisée des approvisionnements « GMA »[2] et la gestion collaborative de la planification, de la prévision et des réapprovisionnements « CPFR »[3] retiennent l’attention des chercheurs, des associations professionnelles, des consultants et même des institutionnels.

La mutualisation logistique est définie comme la mise en commun de moyens physiques (entrepôts, plateformes, camions, etc.) et d’organisations (schémas logistiques), mais aussi de données nécessaires à la gestion ayant pour objectif d’améliorer la performance économique et environnementale de la chaîne logistique. Elle s’applique le plus souvent à deux domaines clés : le transport et l’entreposage.

Le rôle du PSL dans le pilotage de la chaîne logistique est sans appel. L’implication progressive du PSL dans la chaîne logistique s’est inscrite dans un processus de mutation d’un simple transporteur à un véritable intégrateur de la chaîne logistique (tableau 02).

Tableau 02 : Evolution des métiers des PSL

PSL opérationnel PSL à forte valeur ajoutée PSL intégrateur de la chaîne logistique
Exécution des activités opérationnelles de transport, de stockage, de préparation de commande, d’étiquetage et d’expédition Exécution des activités industrielles ou commerciales à forte valeur ajoutée comme la différentiation retardée ou le service après-vente Intégration des flux physiques et d’information pour proposer des solutions de mutualisation logistique à travers la mobilisation des compétences et des ressources physiques et financières

Cette couverture de l’ensemble de la chaîne logistique lui confère une position privilégiée pour imposer de nouveaux services visant l’intégration de la chaîne logistique, voir même une contribution à l’innovation en réinventant les schémas logistiques à travers la mutualisation.

La mutualisation logistique par un PSL intervient souvent lorsque les flux de plusieurs acteurs passent par un seul site logistique, ce dernier est souvent exploité par un PSL qui assure une gestion et une veille plus complexe afin de trouver le juste équilibre entre les besoins de ses chargeurs et ses capacités de stockage.

La mutualisation logistique au Maroc

Au Maroc, il faut savoir que les secteurs qui adoptent une logistique moderne dans sa forme la plus alignée aux meilleures pratiques internationales relèvent en premier lieu des secteurs de l’industrie automobile et aéronautique, de la distribution moderne et e-commerce et des hydrocarbures. Force est de reconnaitre que les chaînes logistiques rattachées à ces secteurs se déploient à l’échelle internationale et que leurs acteurs sont dans la majorité des cas des filiales d’entreprises internationales comme (Renault, Bombardier, Carrefour, Total, etc.). Dans ce contexte, il nous a été donné de constater que ces chaînes logistiques sont fortement matures.

Dans le secteur de l’industrie automobile, les constructeurs et les équipementiers externalisent une bonne partie de leurs activités logistiques à des PSL qui appartiennent, eux aussi à des filiales d’entreprises internationales comme (GEFCO, GEODIS, M&M, TIMAR, etc.). Les défis des chaînes logistiques du secteur de l’automobile résident dans leur capacité à répondre à des lead times les plus courts possibles tout en maitrisant les coûts logistiques à travers la réduction des niveaux de stocks. Par conséquent, les constructeurs et les équipementiers de différents rangs se sont vite structurés en des réseaux pour créer collectivement de la valeur. Les entreprises organisées autour des réseaux adoptent un fonctionnement de pilotage des flux en mode « make-to-order [4]» avec des cycles de livraison rapides. Dans cette perspective, les industriels du secteur automobile se voient dans l’obligation de constituer des stocks minimums pour absorber la variabilité découlant de la demande et du temps de transit entre les pays d’origine et les pays de destination.

Eu égard à cette architecture complexe, les PSL assurent parfaitement leur fonction de pilote aux interfaces inter-organisationnelles. Ils mutualisent le transport international et massifient également les flux en constituant des stocks avancés dans leurs plateformes de groupage et de distribution localisées dans les pays de destination à proximité des clients. En outre, nous avons noté que ces PSL ont développé une expertise industrielle en matière d’exécution des activités de différenciation retardée et également une expertise technologique en matière de pilotage des flux d’information. 

Quant aux chaînes logistiques qui relèvent du secteur de la grande distribution moderne au Maroc, nous avons enregistré également un niveau de maturité très avancé. En amont, les enseignes de la grande distribution s’approvisionnent à la fois auprès des fournisseurs nationaux et des fournisseurs étrangers en passant par des plateformes logistiques adossées aux maisons mères. En aval, une partie des flux, essentiellement les produits importés, transite par des plateformes logistiques de consolidation avant éclatement des produits aux différentes enseignes représentant les magasins multiformats. Là aussi, les PSL jouent un rôle incontournable dans le pilotage des flux logistiques destinés à approvisionner l’ensemble des enseignes appartenant aux groupes de la grande distribution. Les ressources logistiques (Plateformes logistiques, Engins de transport, ERP, WMS, TMS, etc) sont mutualisées pour approvisionner l’ensemble des magasins multiformats éparpillés dans plusieurs régions du Maroc.

Le secteur des hydrocarbures est marqué par une particularité liée à une réglementation rigoureuse qui cadre les règles d’importation, de stockage et de distribution des hydrocarbures. Cette réglementation favorise de fait la mutualisation des ressources logistiques, notamment pour les flux de produits pétroliers liquides (brut et raffinés). En amont de la chaîne, la distribution primaire de produits raffinés est majoritairement effectuée par pipeline et cabotage au vu de l’installation de la quasi-totalité des capacités de stockage sur le littoral. L’exploitation de ces capacités de stockage est assurée par des prestataires indépendants qui mutualisent les infrastructures logistiques au profit de l’ensemble des compagnies pétrolières installées au Maroc. En aval de la chaîne, la distribution secondaire des produits raffinés est dominée par le transport routier qui traite la quasi-totalité des flux entre les installations de stockage et les stations-service du pays. Les compagnies pétrolières internationales ont externalisé le maillon de distribution secondaire par la mise à niveau et l’accompagnement des transporteurs aux normes de qualité exigées pour assurer un transport efficient et sécurisé des flux. Récemment, avec la libéralisation du secteur des hydrocarbures au Maroc et dans l’optique de faire face au déficit structurel au niveau de l’obligation de détention d’un stock de sécurité des produits pétroliers de 60 jour au regard de la loi, quelques compagnies pétrolières projettent la co-construction des infrastructures logistiques régionales de stockage qui seront alimentés par un réseau primaire compétitif de pipelines comme solution de mutualisation, de massification et de développement durable.

Il y’a lieu de noter que ces cas de mutualisation logistique identifiés dans des secteurs hautement matures ne représentent qu’une partie infime des entreprises marocaines, de l’autre côté, certaines TPE et PME opèrent dans des chaînes logistiques immatures et perçoivent la logistique comme une activité strictement opérationnelle, visant l’exécution des opérations comme les approvisionnements, le transport, le stockage et la distribution de façon fragmentée et sans aucune planification proactive.

Les freins de la mutualisation logistique au Maroc

Hormis les grands groupes et les entreprises multinationales, l’approche patrimoniale adoptée par la majorité des TPE et PME marocaines conjuguée à la problématique de l’informel fait que le niveau d’externalisation et aussi de mutualisation des activités logistiques est très bas. Selon l’Agence Marocaine de Développement de la Logistique, le taux d’externalisation des activités logistiques est encore médiocre, en effet, concernant l’activité entreposage, le taux d’externalisation ne dépasse pas les 14%, sur l’activité entreposage. Si quelques entreprises de grande taille opérant dans des chaînes logistiques très matures déploient des pratiques collaboratives innovantes tout en faisant appel aux expertises des PSL, les entreprises traditionnelles marocaines qui dominent le tissu économique internalisent davantage leurs activités logistiques.

L’informel est un des principaux freins empêchant le recours aux bonnes pratiques logistiques. Les impacts de l’informel ne sont pas des moindres, les entreprises marocaines préfèrent recourir à des transporteurs informels pour des raisons de compétitivité, la prestation logistique professionnel coute chère.

Dans le canal de la distribution traditionnel par exemple, les clients des entreprises agro-alimentaires ne sont autres que les grossistes et distributeurs qui vendent à leur tour aux détaillants. Il est connu que ces derniers ne tiennent aucune comptabilité. Ils paient généralement leurs fournisseurs en argent cash qui servira à rémunérer les industriels. Pour toutes ces raisons, les grossistes ou même les industriels ne peuvent pas collaborer avec des PSL structurés. Ces derniers sont digitalisés et tracent toutes les opérations logistiques depuis la réception de la marchandise et l’enregistrement de sa valeur jusqu’à sa livraison sans oublier l’identité du client livré ou encore le montant encaissé. L’informel touche beaucoup plus le transport de marchandises que les activités d’entreposage, maillon centrale de la chaine logistique, le transport de marchandises reste peu développé en raison de sa structure fragmentée. Eu égard au poids prépondérant de l’informel, il y’a encore du chemin à faire pour persuader les PME et PMI marocaines d’adopter une logistique mutualisée en recourant aux expertises des PSL.

En plus, le secteur logistique ne dispose d’aucune réglementation qui lui est propre, et souffre également d’un manque de normes logistiques marocaines avec tout ce que cela a comme rapport avec les bonnes pratiques logistiques. Les règles encadrant l’exécution des opérations logistiques, les conditions d’accès à la profession logistique pour des acteurs comme les 3PL et 4PL et l’emplacement des zones logistiques sont inexistantes. Il y’a lieu de noter que le vide qui existe actuellement en matière de réglementation et de normalisation dans le secteur ne participe guère à l’impulsion de la mutualisation logistique. Non seulement l’informel prend une place non négligeable dans le secteur, mais aujourd’hui, l’enjeu est d’aider les entreprises à mutualiser leurs activités logistiques de sorte à leur permettre d’avoir une prestation réglementée, sécurisée et cadrée même au niveau des tarifs.

Aussi, le développement de la mutualisation logistique repose sur la disponibilité des plateformes logistiques ayant des caractéristiques particulières. Selon l’Agence Marocaine de Développement de la Logistique (2010) « les plateformes logistiques sont de véritables centres de valeur ajoutée logistique à proximité des acteurs économiques et des consommateurs, ces plateformes logistiques serviront de zones pour la canalisation et la concentration des flux nécessaires au développement d’une offre de services compétitives et à forte valeur ajoutée ».

Le développement d’un tel réseau nécessite de réunir certaines conditions, notamment :

  • Un foncier disponible à des coûts raisonnables, respectant des critères de localisation précis, variables d’un flux à l’autre (proximité de la ville, proximité du port, nombre de zones par bassin de demande)
  • Une connectivité adaptée en termes de grande logistique (autoroute, rail) et petite logistique

Or, les PSL déplorent la cherté du foncier dans les grandes villes ce qui ne favorise pas l’investissement dans des ressources logistiques et par conséquent, les initiatives des chargeurs quant à la mutualisation de leurs activités logistiques sont limitées.

Conclusion

Dans ce papier, nous avons essayé de démontrer le lien entre les niveaux de maturité des chaînes logistiques et l’adoption des pratiques collaboratives de mutualisation logistique dans le contexte marocain.

Comme nous l’avons précisé, les grands groupes et les multinationales établis au Maroc sont conscient de l’importance stratégique de la fonction logistique pour créer de la valeur. Cet intérêt pour la modernisation de leurs chaînes logistiques a stimulé l’adoption des pratiques collaboratives. Ainsi, nous avons identifié des expériences de mutualisation logistique à l’initiative des donneurs d’ordre, notamment dans le secteur de la distribution moderne où les magasins de distribution multiformats sont adossés à des plateformes logistiques mutualisées qui répartissent les flux en fonction des besoins du réseau de distribution.

Nous avons également identifié des expériences de mutualisation logistique à l’initiative des PSL dans le secteur de l’automobile. En effet, les constructeurs et les équipementiers externalisent une bonne partie de leurs activités logistiques à des PSL de taille mondiale. Ces PSL, compte tenu de leur positionnement stratégique dans les chaînes logistiques mondiales, parviennent à piloter les flux dans des réseaux logistiques en mutualisant le transport international et en constituant des stocks avancés dans leurs multi-plateformes de groupage à proximité des fournisseurs et des concessionnaires.

Par ailleurs, nous avons noté que les PME marocaines opérant dans plusieurs secteurs d’activités ne disposent pas de chaînes logistiques externes matures, elles externalisent rarement leurs activités logistiques compte tenu de leur culture patrimoniale et n’investissent pas dans les compétences pour implémenter les bonnes pratiques logistiques. Cette faible maturité logistique n’encourage pas l’adoption des pratiques de mutualisation logistique.

L’environnement institutionnel s’avère également un obstacle pour la promotion des bonnes pratiques logistiques. Dans le canal de distribution traditionnel, nous avons observé que le transport informel est en concurrence avec la prestation de services logistiques professionnelle. Compte tenu des prix de transport pratiqués dans le secteur informel, les dirigeants des entreprises marocaines résonnent compétitivité coûts plutôt que création de valeur et amélioration des niveaux de service logistique. Ce problème devrait être traité par la mise en place d’une réglementation logistique au Maroc qui fixe les règles encadrant l’exécution des opérations logistiques et les conditions d’accès à la profession logistique.


[1] La GPA est une méthode de collaboration verticale qui consiste à approvisionner les entrepôts du distributeur directement par son fournisseur industriel et ceci, sur la base des règles de gestion prédéfinies

[2] La GMA consiste à confier à un groupe d’industriels la gestion de l’approvisionnement vers un distributeur. Elle garde les principes de la GPA dans un contexte de collaboration horizontale « multifournisseurs »

[3] Le CPFR est un processus permettant la gestion collaborative et consensuelle des flux entre les différents acteurs engagés dans une chaîne logistique. Il consiste à élaborer un plan consolidé intégrant les prévisions des ventes, les plans de distribution et les plannings de production.

[4] Il signifie que la production n’est réalisée qu’à partir du moment où une commande est confirmée.

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